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Classification des reliques de la Passion

 

« Pour l’archéologue, le passé est matière; objet, meuble, monument, mais aussi empreinte, fosse, pollen, bref, toute sorte de trace identifiable au passé. Â»[1] A présent, nous allons tenter de procéder à un classement archéologique de ces "res sacras".

 

2.3.1. Les artéfacts archéologiques

 

Définition

Le mot « artéfact Â» vient du terme latin, "ars, artis" qui signifie art, et du verbe latin "facere", faire.

Il désigne « un produit ayant subi une transformation, même minime, par l’homme Â»[2].

 

On peut constater que la plupart des reliques de la Passion correspondent à des artéfacts réalisés par l'homme:

 

1) Les reliques du lavement des pieds:

le Bassin de la Cène, La Serviette du lavement des pieds.

 

2) Les reliques de la Cène

la Table de la Cène, la Nappe de la Cène, le Calice de la Cène de Valence, les autres reliques de Calice, le Pain de la Cène, le sacro Catino, le Couteau de la Cène, la Patène de la Cène.

 

3) Les reliques ayant trait à l’arrestation du Christ au jardin des Oliviers:

les Liens, le Bandeau du Christ.

 

4) Les reliques se rapportant à la comparution devant Pilate et Hérode:

la Robe blanche de la dérision, la Scala Santa.

 

5) Les reliques de la flagellation du Christ:

les Verges, la Colonne de la Flagellation.

 

6) Les reliques ayant trait au couronnement d’épines et à la scène de dérision

la Robe de pourpre, la Couronne d'épines.

 

7)  Sur le chemin du Golgotha:

le Voile de Véronique.

 

8)  Les reliques de la crucifixion:

la relique de la Croix, les Clous, le Titulus.

 

9) Les reliques se rapportant au tirage au sort des vêtements du Christ par les soldats :

les Dés, la Tunique d'Argenteuil, la Tunique de Trèves, un inventaire de fragments de vêtements indéterminés, la Ceinture, les Sandales, le Subligaculum.

 

10) Derniers instants du Christ sur la Croix:

les Éponges, la relique du fiel et du vinaigre, la Lance.

 

11) Les reliques autour de la mise au tombeau du Christ

le Sépulcre, la Pierre roulée, le saint Suaire de Turin, les fragments de Suaires indéterminés, les Bandelettes funéraires, la Coiffe de Cahors, le Mandylion d'Édesse, le Suaire de Compiègne, le Suaire de Besançon, le Suaire de Compiègne, le Soudarion d'Oviedo, la relique des aromates d’embaumement.

 

Matériaux pour la réalisation des artéfacts

 

Divers matériaux sont utilisés pour la réalisation de ces artéfacts:

  • la matière végétale, comme le lin, entrant dans la fabrication du tissu dans un grand nombre de cas pour les linges mortuaires par exemple ; les végétaux comme les branches d'épines ou le roseau ou encore le bois pour  la table de la Cène.
  • la matière animale, utilisée pour la fabrication des sandales ou des dés.
  • la matière minérale, pour la Colonne de la Flagellation.
  • les métaux, pour la réalisation des Clous, la Lance, le Couteau de la Cène ou le Calice par exemple.
 
On pourrait procéder à une analyse des impuretés pour retrouver la mine d’origine. Toutefois un recyclage possible des métaux pourrait fausser les calculs.
Une piste existe, la mesure des isotopes, mais là encore on pourrait être en présence de refontes éventuelles. 

 

La chaîne opératoire des artéfacts archéologiques

 

Pour parvenir à l’état d’artéfact, les matériaux ont fait l’objet d’une chaîne opératoire:

« Le terme de chaîne opératoire recouvre le chemin par un matériau depuis son état de matière première jusqu’à son état de produit fabriqué fini. Il s’applique à tous les matériaux, aux végétaux, aux minéraux, aux plantes cultivées, aux métaux. Â»[3]

 

La chaîne opératoire n’est pas la même pour la réalisation de tous les objets et peut être plus ou moins complexe: entre la fabrication de la Couronne d’épines et celle du Suaire de Turin par exemple, le temps et les étapes de réalisation sont très différentes: pour la couronne, les soldats cueillent les branches d’épines qu’ils tressent tout simplement[4]. En revanche, la fabrication du Suaire demande plus de temps et de technicité, nécessitant le tissage du lin, et la teinture.

 

Pour toutes les reliques de la Passion, une étude très précise de la chaîne opératoire serait appréciable, ce n’est pas encore chose faite actuellement.

 

Enfin, on pourrait aussi faire des recherches sur la chaîne opératoire des copies de reliques, voire des fabrications de faux pendant la période médiévale pour les reliques de la Passion: découvrir plus précisément dans quelles conditions, en quel lieu, au moyen de quel procédé on a réalisé les copies de Clous par exemple: « la moindre fabrication suppose l’organisation d’un approvisionnement en matière première, qui peut être parfois éloignée du lieu de vie de ceux qui vont la travailler, de l’outillage, du savoir-faire qui doivent être transmis par une partie de la population à certaines personnes, un lieu de production, une diffusion des artéfacts selon des circuits et des usages spécifiques. Â»[5]

 

Sur toutes les reliques de la Passion, il nous reste certaines qui n’ont pu donc Ãªtre rangées dans la catégorie des artéfacts: les reliques du Mont des Oliviers et du Jardin de Gethsémani, du Roseau, du Sang, du Calvaire, des  Cheveux, la relique de la Barbe.

 

Après réflexion, il m'a semblé pouvoir diviser ces « reliques hors classement Â» en deux catégories distinctes, les écofacts et les éléments corporels archéologiques.

 

 

2.3.2. Les écofacts

 

Définition

 

Un écofact est un terme désignant « un vestige matériel issu du règne animal, végétal ou minéral. »[6]

Il vient du terme grec « Î¿Î¹ÎºÏŒÏ‚ Â» signifiant « la maison, Â» ou « le milieu, Â» et du verbe latin "facere" faire. (Ici au participe passé "factus": fait )

 

Les reliques de la Pierre du Mont des Oliviers, du Jardin de Gethsémani et du Calvaire sont constituées d'éléments minéraux. Pourtant pourrait-on faire remarquer, c'est le cas d'autres objets cités ci-dessus, classés dans la catégorie des artéfacts archéologiques.

 

Alors pourquoi faire la différence?

 

Pour la raison que les divers vestiges de Jérusalem cités ci-dessus, ne sont pas des artéfacts, ce sont seulement des éléments géologiques se rapportant à un lieu déterminé, qui n'ont pas été transformés ou modifiés par l'homme par quelque procédé que ce soit. A mon sens de par leur nature, on ne peut pas les considérer comme des artéfacts archéologiques. Il serait donc plus pertinent de les classer dans la catégorie des écofacts archéologiques. Après beaucoup d’hésitation j’ai pensé que la relique du Roseau pouvait aussi être classée dans cette catégorie, car elle n’a pas fait l’objet d’une quelconque transformation par l’homme, contrairement à la Couronne d’épines par exemple, qui elle, a été tressée.

 

2.3.3. Les éléments corporels archéologiques

 

« La définition des vestiges matériels est constamment sujette à des changements en fonction des évolutions, de la recherche et des techniques d’exploitation des sources. Au début du 19ème siècle dans l’ensemble, seuls les objets, parfois même seulement ceux qui étaient jugés esthétiquement dignes, pouvaient espérer survivre à leur découverte sans connaître à nouveau l’enfouissement...Même les ossements des inhumés étaient rarement conservés, ni même parfois relevés au moment de leur découverte. Aujourd’hui la datation radiocarbone, l’anthracologie, la dendrologie, les études d’anthropologie funéraire etc, donnent à ces restes un statut de source pour l’étude du passé qu’ils n’avaient pas il y a un siècle encore. Â»[7] Ainsi les ossements, et plus largement les restes humains constituent un objet d’étude et une source d’information pour l’archéologie.

 

Des reliques de la Passion, il nous reste celles du Sang, de la Barbe et des Cheveux du Christ.

 

C'est après une longue réflexion que j'ai déterminé la catégorie à laquelle les rattacher. En effet elle est très délicate: le Sang du Christ, ses Cheveux ou sa Barbe ne peuvent être considérés comme des objets archéologiques car ce ne sont pas des artéfacts, mais des éléments du corps humain. On pourrait avoir le choix entre deux alternatives: soit laisser à ces reliques un éternel statut flou et incertain, en se réfugiant dans un « je ne sais pas Â» pusillanime, soit prendre son courage à deux mains et agir.

 

J'ai pour ma part décidé de considérer les reliques corporelles du Christ comme des éléments corporels archéologiques.

 

Le terme « Ã©lément Â» fait référence au caractère fragmentaire de la relique: il ne s'agit pas du corps humain entier donc on ne peut pas dire « corps Â» mais bien « Ã©lément Â» et ce, sans intention d'abaisser le corps humain à des fragments que l'on peut compter comme n'importe quel objet.

 

Pour une question d'éthique et de précision, suit le terme « corporel Â»: il s'agissait de trouver un terme qui n'entache pas la noblesse et la supériorité de l'homme par rapport aux objets ou les animaux, et qui ne le réifie pas, ce qui constitue l'enjeu majeur de la réflexion à ce sujet.

 

Enfin le terme « archéologique Â» fait référence au caractère ancien de l'élément corporel, mais aussi au fait qu'il peut être étudié à l'aide de la discipline: en effet, on les retrouve très souvent dans un contexte archéologique, on peut leur appliquer des méthodes d'études propres à l'archéologie.

 

Enfin, l'étude de ces éléments corporels a un intérêt pour l'appréhension et la compréhension de l'homme et de son vécu. Trouver une catégorie à ces reliques était nécessaire: à force de tergiverser et de rester dans le vague, on en vient finalement à laisser ces sortes de reliques où elles sont, et de nombreuses informations se perdent. Ces éléments corporels archéologiques ne sont pas le seul fait des reliques conservées dans les reliquaires: l'archéologue peut être amené à les découvrir lors de fouilles archéologiques de milieux funéraires mais aussi de zones d'habitat, d'artisanat, car les éléments corporels archéologiques ne concernent pas que le Christ, mais aussi la Vierge Marie et les Saints.

 

L’étude de ces éléments corporels archéologiques permet d’en apprendre un peu plus sur les causes de la mort du Christ, sa morphologie, son appartenance à une ethnie. Au-delà de la seule étude des reliques corporelles de la Passion du Christ, « l’étude archéologique des restes humains…conduit à des travaux dans deux directions: des recherches directes sur le monde des morts (les causes de la mort, les pratiques funéraires etc..) et indirectes sur celui des vivants à travers les morts (démographie, liens de parentés, alimentation et état sanitaire). Â»[8]

 

 


[1] Schnapp A., « Histoire de l’archéologie et archéologie dans l’histoire, Â», in Demoule, Guide, p.10.

 

[2] http://fr.wikipedia.org/wiki/Artefact. Lien valide le 29 Avril 2010.

 

[3] Giligny F. et Lehoërff A., « Les cadres de l’interprétation Â», in Demoule, Guide, pp. 111-112.

 

[4] Evangile de Saint Matthieu, chapitre 27, 27: « Les soldats du gouverneur emmenèrent Jésus dans le prétoire, et ils assemblèrent autour de lui tout le peloton. Ils lui ôtèrent ses vêtements, et lui

 

passèrent un manteau d’écarlate. Puis ils tressèrent une couronne d’épines qu’ils lui mirent sur la tête. Â»

 

[5] Giligny F. et Lehoërff A.,  « Les cadres de l’interprétation Â», in Demoule, Guide,  p. 114.

 

[6] http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cofact. Lien valide le 29 Avril 2010.

 

[7] Lehoërff A., « Le travail de terrain Â», in Demoule, Guide,  p.40.

 

[8] Giligny F. et Lehoërff A.,  « Les cadres de l’interprétation Â», in Demoule, Guide,  p. 106.

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