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Utilisation religieuse des reliques


La véritable fonction des reliques de la Passion -comme de toutes les autres reliques- est d’ordre religieux.

 

La relique alimente la piété du fidèle ou du religieux, qui ne la considère pas pour elle-même mais pour Celui à qui elle se réfère.

Très tôt, les reliques de la Passion ont donné lieu à un grand nombre de cérémonies ou de pratiques.


Du point de vue du droit de l’Église, le culte des reliques en général et celles de la Passion en particulier, a une origine plus coutumière que légale. Nicole Hermann-Mascard affirme en effet que « le caractère épiphénoménique de la dévotion aux reliques qui n’est pas de l’essence de la religion chrétienne, et son origine relativement populaire ont eu une conséquence importante. Tant que ses manifestations n’offraient rien de répréhensible, l’Église les adopta, mais n’en ayant pas pris l’initiative, elle ne leur imposa pas de normes préalables. Le développement exceptionnel de cette vénération sera donc assez anarchique et les règles qui l’organiseront, principalement coutumières...La force des moeurs populaires l’emportera même parfois sur le droit écrit. »(1)

 

Hermann-Mascard précise que la législation pontificale et conciliaire ne s’occupera des manifestations du culte des reliques que pour préciser et confirmer la coutume.


C’est avec Charlemagne que certains aspects du culte des reliques sont règlementés, au moyen de capitulaires ou de canons conciliaires. Hormis quelques décisions conciliaires, le droit des reliques sera réglé par la coutume et ce jusqu’à la fin du 11ème siècle.(2)

 

A partir de cette époque la papauté acquiert laborieusement, et au fil du temps, une influence qui lui permettra d’« obtenir l’adoption des coutumes et de la liturgie romaine en matière de reliques et l’admission du principe du recours du Saint Siège dans toutes les décisions importantes ou difficiles à prendre en la matière. » (3)


C’est au 13ème siècle, que le droit interne de l’Église, au sujet des reliques, se fixe…Le concile de Latran de 1215, sous l’égide du Pape Innocent III, apporte de nombreuses mesures pour lutter contre les abus en matière de reliques; notamment le canon 62 prescrit que les reliques doivent être uniquement exposées ou vénérées dans leur reliquaire afin d’éviter les vols, profanations ou autres sacrilèges.(4)


Le 14ème siècle verra la stabilisation des règles du droit sur le culte des reliques.


Les reliques de la Passion ont fait l’objet d’une utilisation religieuse très concrète, donnant lieu à des cérémonies ou des actes religieux bien précis que l’on va pouvoir découvrir à présent.

 


 Termes religieux et pratiques liées à la découverte et au transfert de reliques


Les reliques, et en l’occurrence celles de la Passion, connaissent un parcours parfois mouvementé. Toutes, cependant donnent lieu à certaines pratiques, depuis leur découverte ou conservation jusqu’à leur transfert, voire leur morcellement et leur diffusion jusqu’aux confins de la Chrétienté.

 

INVENTIO
Inventio est le terme latin qui désigne la découverte de reliques.
Certaines reliques de la Passion, comme celle de la Croix, du Titulus, de la Couronne d’épines, ont été retrouvées à Jérusalem par Sainte Hélène au 4ème siècle. Le terme français « invention » doit ainsi être considéré au sens de « découverte. »

 

DISMEMBRATIO
Ce terme latin désigne le morcellement de reliques, généralement de restes corporels: c’est le fait de morceler les restes et de les distribuer à plusieurs églises, et parfois à plusieurs personnes en particulier. (5)
Dans le monde occidental, la coutume de morceler ainsi les reliques, n’était pas de mise aux premiers siècles comme en témoigne le Pape Grégoire le Grand.(6)
Dans le monde oriental, c’était le contraire. La division de la Croix en parcelles en est un exemple criant.
Notons qu’il est possible en soi, de procéder à une dismembratio lors de la découverte de la relique ou plus tard, au cours des siècles.

 

TRANSLATIO RELIQUIARUM OU TRANSLATION DE RELIQUES
Ce terme désigne le transfert de reliques d’un endroit à un autre.
Le transfert de reliques est attesté dès le 4ème siècle avec la relique de la Croix.


Dès le 7ème siècle a lieu un rituel (7) pour cette occasion qui se déroule en trois temps:
-La veille de la cérémonie les reliques sont déposées dans une autre église. L’évêque procède à une élévation de celles-ci, pendant que les fidèles chantent des psaumes et des antiennes.
-Le lendemain, les reliques sont portées en procession jusqu’à l’entrée de l’église. Les fidèles chantent les litanies pendant que l’évêque prépare l’autel à l’intérieur. On ouvre ensuite les portes et les fidèles entrent.
-L’évêque place alors les reliques dans l’autel pendant que les fidèles chantent des antiennes. Il célèbre la Messe.


En ce qui concerne le monde oriental, la translation des reliques se déroule selon le cérémonial de l’arrivée d’un empereur dans une cité:
-la rencontre ou « συναντησις » ou « υπάντησις. » Il s’agit de l’accueil des reliques -transportées depuis leur lieu d’origine sur un char ou une litière d’apparat- par la population de la cité, venue à leur rencontre en procession « avec des lampes allumées, des palmes, des fleurs, des croix de procession.»
-la procession ou « προπομπή », composée d’abord des hauts personnages de la cité, puis des évêques sur un char, tenant le coffret de reliques sur les genoux, puis de la population.
-la déposition des reliques dans le sanctuaire, « κατάθεσις » ou « απόθεσις. »(8)


ADVENTUS
Ce terme désigne l’arrivée d’une nouvelle relique dans un lieu religieux.


LAVAGE DE RELIQUES
L’interdiction de laver les reliques est très tardive. Elle remonte au 17 Décembre 1691.(9)
C’était une pratique très courante, surtout dans le monde oriental: on prêtait des vertus thaumaturgiques à l’eau qui avait été en contact avec les reliques, notamment celle de la Croix. Cette pratique a lieu notamment avant l’exposition de reliques au public.

 

LA DEDICACE D’EGLISES OU DE BASILIQUES
Les églises ou les basiliques étaient dédicacées, c’est-à-dire consacrées. On employait des reliques à cette occasion, et notamment celles de la Passion, que l’on plaçait alors sous l’autel.
En 787, le deuxième concile de Nicée impose l’utilisation de reliques lors de la consécration d’une église, sous peine de déposition pour l’évêque qui se déroberait à la règle.(10)
En 816, le concile de Chelsea permet que l’Eucharistie accompagne ou remplace les reliques lors de la consécration d’une église, puisque c’est le Corps et le Sang du Seigneur.(11)


Jusque vers le milieu du 6ème siècle, il n’existait pas de rituel pour la dédicace des églises romaines si ce n’est une simple messe solennelle.(12)


En France, au 6ème siècle, il existe un rituel de dédicace. C’est ainsi qu’au 6ème siècle, Grégoire de Tours consacre un oratoire : « La nuit précédentes les reliques ont été veillées à la basilique Saint-Martin. Le matin, l’évêque se rend à l’oratoire, où il consacre l’autel. Il retourne ensuite à la basilique, y prend les reliques et les transporte en procession à l’oratoire.(13)


Le rituel byzantin est différent : « dans ce rituel la dédicace et la déposition des reliques sont des cérémonies tout à fait distinctes, qui même ont lieu, en règle ordinaire, à des jours différents. L’évêque commence par sceller lui-même la table de l’autel, soit sur une colonne, soit sur une base pleine. Il y fait le signe de la croix et la lave d’abord avec l’eau baptismale, puis avec du vin ; il y fait ensuite des onctions de chrême, et enfin des fumigations d’encens. L’autel consacré, il fait le tour de l’église en balançant l’encensoir, tandis qu’un prêtre, marchant derrière lui, fait des onctions cruciformes sur les murs, colonnes, etc. La cérémonie se termine par la bénédiction des linges, vases sacrés, lampes et autres objets servant au culte. »(14)


LA DEDICACE DES AUTELS
Les autels étaient dédicacés c’est-à-dire consacrés sur les reliques. D’après les inventaires, on consacrait un autel sur une ou plusieurs reliques; celles du Christ étaient souvent utilisées, alliées aussi à celles d’autres saints. La relique de la Croix se retrouve le plus souvent, seule ou avec un fragment de Sépulcre, (relique la plus fréquente statistiquement parlant après la Croix), de Suaire, de Vêtements, un fragment d’Épine.
A ce propos, le cinquième concile de Carthage prescrit aux évêques locaux de retirer les autels qui ne sont pas consacrés sur des reliques.(15)
Notons qu’une consécration d’église entraîne forcément une consécration d’autel, mais l’inverse n’est pas obligatoire, loin s’en faut.


L’OSTENSION OU EXPOSITION DE RELIQUES
Les reliques de la Passion faisaient et font encore l’objet d’exposition ou d’ostension: « Jusqu’au 13ème siècle, les ostensions ordinaires et extraordinaires n’étaient soumises à aucune règle précise. »(16) Placées dans leur reliquaire, selon le décret du concile de Latran en 1215, elles sont montrées aux fidèles et vénérées par eux. Les ostensions des reliques de la Passion peuvent avoir lieu notamment pendant la Semaine Sainte, mais aussi le jour anniversaire de la réception des reliques dans l’édifice religieux, ou de la dédicace de ce même édifice, pour certaines occasions heureuses (lors de mariages princiers par exemple) ou malheureuses (lors de guerres ou de famine), ou encore suivant les coutumes locales.(17)


Toutefois, les règles du concile de Latran n’étaient pas toujours respectées à la lettre. C’est pourquoi en 1279, le concile de Budapest apporta quelques assouplissements: la relique pouvait être exposée en-dehors de son reliquaire « on major church feast days » et lorsque des foules de pèlerins étaient réunis pour sa vénération.(18)


L’usage de lampes ou de lumière environnant les reliques, est confirmé et approuvé par les conciles de Tolède de 597 et 688, et se poursuit pendant tout le Moyen Age.(19)


LES FETES D’OBLATION DE RELIQUES
C’est une célébration instituée pour commémorer un don de reliques fait par une personne ou une communauté. Une Messe est dite à cette occasion avec des textes propres à la fête.


LES FETES DE RELIQUES
C’est la célébration instituée pour honorer les reliques d’une église particulière, ou d’un lieu particulier. La Messe y est spécialement dite.


LES PROCESSIONS
Elles sont faites lors d’évènements particuliers, par exemple lors de sièges, de maladies, mais aussi pour les dédicaces d’églises, les rogations, le dimanche des Rameaux…On introduisait dans les croix processionnelles des fragments de la vraie Croix.
Snoek nous livre une très belle réflexion sur ce que signifie une procession, qui pour lui est l’expression symbolique dans l’Église chrétienne, du chrétien qui se sent étranger sur terre et qui part à la rencontre du Christ.(20)
Ces processions avaient non seulement lieu, lors de fêtes, ou du temps liturgique de la Passion, mais aussi lors d’évènements graves, comme dans les temps de famine, d’épidémies, de guerre.(21)

LES LITANIES
Une litanie est une prière constituée d’invocations à Dieu, à la Vierge et aux Saints. Il en existe plusieurs sortes, par exemple les litanies du Précieux Sang du Christ. Une litanie commence et finit toujours par une invocation à Dieu. Elle est chantée notamment lors de processions.


LES BENEDICTIONS

  •  de l’air

Lors de calamités et notamment d’épidémies et de peste, on bénissait l’air avec les reliques: cela servait à attirer la bénédiction de Dieu.

  •  de l’eau

La relique de la vraie Croix pouvait être utilisée pour la bénédiction de l’eau.

  • des saintes huiles

Elle avait lieu notamment à Jérusalem. L’huile était sanctifiée au contact de la relique de la Croix. On distribuait ensuite l’huile aux fidèles.


LA CONSECRATION DE STATUES
Lors de la bénédiction de statues, il arrivait que l’on y introduise des reliques de la Passion. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir la rubrique « localisation » de la relique de la Croix, dans ce mémoire.


LE PELERINAGE ou Peregrinatio
Les reliques de la Passion et aussi les Lieux Saints (particulièrement Jérusalem) ont été l’occasion de nombreux pèlerinages : si pour Jérusalem, on sait que les pèlerins partaient en pèlerinage plutôt individuellement, à partir du 11ème siècle, les pèlerinages en Terre Sainte-encore plus nombreux qu’à Rome à cette époque(22)- étaient le plus souvent collectifs. Par exemple, en 1065, l’évêque de Bamberg partit avec une foule de 7000 pèlerins protégés par des laïcs armés.(23)Le pèlerinage s’inscrit dans un esprit de prière et de pénitence : c’est ainsi que le Pape Alexandre III, dans sa bulle de croisade Inter Omnia de 1169, s’adresse aux pèlerins en exhortant « ceux qui veulent visiter le Sépulcre … de faire le pèlerinage à titre de pénitence, en marque d’obéissance et pour renoncer à tous leurs péchés. »(24)
Voici un tableau récapitulatif des pratiques religieuses liées à la vénération des reliques de la Passion. Les informations se réfèrent aux annexes pour chaque relique. Dans la colonne de gauche sont les reliques très ou moyennement célébrées. Dans celle de droite, les reliques de la Passion peu célébrées d’après le manque ou l’absence de données.

 

 

 

(1) Hermann-Mascard N., Reliques des saints, p. 18.

(2) Hermann-Mascard N., Reliques des saints, p.20.

(3) Idem, p.20.

(4) Snoek G.J.C., Medieval Piety,p.206.

(5) Idem, p. 14.

(6) MGH, Ep. I, 264-265, indictio XII, ep. IV, 30.

(7) Sigal P. A., « Le déroulement des translations de reliques principalement dans les régions entre Loire et Rhin aux 11ème et 12ème siècle. » in Les reliques, pp. 213-227.
(8)Maraval P., Lieux saints, p. 48.
(9) Décret S.C. (Sources chrétiennes) des évêques et des réguliers du 17-12-1691, dans Ferrariss L., Prompta Bibliotheca, t. II, col 1568.

(10)Snoek G.J.C., Medieval Piety, p. 185.
(11) Idem, p. 187.
(12) Duchesne L., Origines du culte chrétien, étude sur la liturgie latine avant Charlemagne, p.425.
(13) Idem, pp.436-437.
(14)Ibidem, p. 437.
(15) Snoek G.J.C., Medieval Piety, p. 182.

(16)Hermann-Mascard N., Reliques des saints, p. 211.
(17) Idem, p. 210.
(18) Snoek G.J.C., Medieval Piety, p. 282.
(19) Idem, p. 231.
(20) Ibidem, pp. 250-251.
(21) Snoek G.J.C., Medieval Piety, p. 254.

(22)Demurger A., Croisades et croisés au Moyen Age, p.24.
(23) Idem, p.26.
(24) Ibidem, p. 85.

 

 

 

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