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1. Historique de la réflexion religieuse sur les reliques de la Passion

 

 

1.1. La relique de la vraie Croix au regard des théologiens du Moyen Age

 

La première relique sur laquelle se sont penchés les théologiens a été celle de la vraie Croix.

 

Toutefois, la réflexion sur la Croix en tant que relique n’a pas eu lieu dès le début du Christianisme.

 

Dans les premiers siècles en effet, une réflexion a été menée plutôt sur le Croix en tant que symbole : Saint Paul et les Pères apostoliques de l’Orient aux premiers siècles, reconnaissent que la Croix est avant tout le symbole du Christianisme. Vers la seconde moitié du 2ème siècle, Saint Justin (né entre 100 et 114 à Naplouse-mort entre 162 et 168 à Rome) Père de l’Église, apporte ces idées à Rome. Vers l’an 248, Saint Cyprien, (né vers 200-mort en 258) évêque de Carthage, Père de l’Église, reconnaît la puissance surnaturelle de la figure de la Croix.

 

La découverte de la Croix par Sainte Hélène à Jérusalem vers 326, dont témoigne en premier lieu le patriarche Cyrille de Jérusalem (350-386) en 348, va entraîner la naissance du culte de la Croix en tant que relique : le 13 Septembre 335, le martyrium ou église du Golgotha, construite en l'honneur de la relique est dédicacée.[1] « La relique de la sainte Croix est conservée dans le Martyrium (du grec μαρτύριον) »: « Le martyrium n’englobe ni le Golgotha ni le tombeau du Christ mais est devenu le réceptacle de la Croix.»[2]

 

Au 4ème siècle, à Jérusalem, les récits de pèlerins font état d’une liturgie spéciale autour de la relique de la Croix, notamment pendant la Semaine sainte : le bois de la Croix était exposé à Jérusalem, les fidèles pouvaient vénérer la relique et la baiser. Cette cérémonie d’adoration de la Croix le Vendredi Saint se retrouve ensuite dans le rite romain entre le 7ème et le 8ème siècle. [3]

 

C’est encore à Jérusalem qu’est attestée au 4ème siècle la Fête de la Sainte Croix, commémorant à la fois la découverte de la Croix par Sainte Hélène et l’anniversaire de la dédicace de la basilique constantinienne sur le Golgotha et le Sépulcre : à Jérusalem, la fête durait 8 jours et rassemblait évêques, moines et pèlerins. Cette fête sera introduite à Rome et en France au 7ème siècle.[4]

 

Saint Grégoire de Nysse (†394), Père de l’Église, évoque un anneau contenant un fragment de la vraie Croix, que portait sa  propre sœur.[5]

 

Au 4ème siècle, Saint Jean Chrysostome (v.350-407), archevêque de Constantinople, Père de l’Église grecque, considère que les fragments de la Croix portés par ses contemporains constituent une véritable profession de foi. A vrai dire à cette époque, les théologiens ont un avis partagé sur la question: on pouvait douter de l’efficacité de la pratique du culte de la Croix. D’un autre côté, on pouvait accepter cette pratique parce qu’elle confirmait le récit de l’évangile.

 

Dès le 5ème siècle l’évêque Saint Paulin de Nole (†431) écrit que la matière inerte de la relique de la Croix est animée d’une énergie vivante, vis viva, qu’elle a acquise au contact du Sang du Christ.[6] La Croix devient gage d’immortalité, car sanctifiée au contact du Christ. Selon lui, les reliques occupent une place si importante dans l'église, qu’il les considère comme the holy of the holiest sanctified by the altar, le saint des saints sanctifié par l'autel.[7]

 

Le 4 Septembre 454, le Pape Léon Ier se voit offrir par l’évêque de Jérusalem, un fragment de la vraie Croix et un exposé doctrinal sur le culte de la relique de la vraie Croix.[8]

 

 

1.2. Les autres reliques de la Passion au regard des théologiens

 

Les autres reliques de la Passion dans leur individualité n'ont pas fait l’objet de débats ou d’écrits particuliers.

 

L’Église fait preuve de prudence en ce qui concerne le culte des reliques dont la pratique exclusive n’est pas considérée par elle suffisante pour le salut : « Dès le 4ème siècle, la doctrine de l’Église souligne prudemment que la sainteté des reliques ne peut sauver que ceux qui imitent les saints. »[9]

Saint Grégoire le Grand (540-604) vénère les reliques, mais n’hésite pas pour autant à exhorter les fidèles à ne pas tout en attendre, dans ses Dialogues.[10]

En 406, Saint Jérôme (vers 340-420), Père de l’Église, se prononce en faveur du culte des reliques dans un pamphlet, le Contra Vigilantium.[11]

 

Deux traités sur le culte des reliques existent au Moyen Age:

 
  • Le De pignoris sanctorum, composé au 11ème siècle par Guibert de Nogent.[12]

 

Dans cet ouvrage, les reliques corporelles du Christ sont vivement décriées par l’auteur et ce pour plusieurs motifs.

Premièrement, pour Guibert, nous dit Michele Camillo Ferrari,[13] « la question du corps eucharistique est centrale… » « Selon lui, l’Eucharistie exclut absolument l’existence de reliques corporelles du Christ. S’il y en avait, la commemoratio domini n’aurait plus de sens, puisque le Christ serait présent corporellement dans le monde… »

 

Penser une telle chose, ne serait-il pas réduire l’Eucharistie à une simple relique, à une simple Présence réelle, alors que c’est un sacrement, et que la personne qui communie, établit un rapport étroit, une union intime avec le Christ? Le Christ dit bien, « Celui qui mange ma chair, et boit mon Sang, demeure en Moi, et Moi en Lui… »[14] En revanche, lors de la vénération d’une relique même corporelle du Christ comme la relique du Sang, de la Barbe ou des Cheveux, il n’y a pas de relation aussi étroite avec la Divinité, il n’y a pas d’union physique avec la relique, comme c’est le cas pour l’Eucharistie, quand le communiant ingère l’hostie, et il n’y a pas le même rapport spirituel non plus…

 

Deuxièmement, selon Guibert de Nogent, de tels vestiges corporels ne sauraient exister, car ils entraîneraient un grave problème: l’existence de deux corps du Christ… Le corps-relique du Christ et le corps ressuscité du Christ.

 

Michele Camillo Ferrari, affirme en effet à ce propos que « s’il y avait des reliques corporelles du Christ on devrait admettre qu’il existe non un, mais au moins deux corps du Sauveur (le corps-relique et le corps ressuscité), d’où des problèmes logiques et théologiques au moment de la résurrection de la chair. »[15]

 

Toutefois, cette objection ne tient pas, étant donné que les éléments corporels se rapportant au Christ et mentionnés au Moyen Age, sont des cheveux, du sang ou de la barbe, ce qui ne justifie pas l’existence ou la nécessité de deux corps et ne pose pas de problèmes logiques ou théologiques particuliers…

 

Enfin pour Guibert de Nogent, la dévotion aux reliques est utile mais pas nécessaire au salut.

 
  • Le Lemmata sanctorum, écrit par Théofrid d’Echternach au 12ème siècle.[16]

 

Cet ouvrage est composé de quatre livres, comprenant chacun sept chapitres. L’auteur commence par une réflexion paradoxale sur les reliques: la matière des res sacrae est inerte ;  toutefois, elle détient son pouvoir de faire des miracles par un don plus ou moins inexplicable de Dieu.

De plus, par le fait même de l’Incarnation du Christ, la matière a été élevée au rang d’instrument du salut.[17]

 

Le livre I a pour sujet les corps saints, on y retrouve à la fin, l’opposition marquée entre le corps et l’esprit.

 

Le livre II traite des ornements du tombeau, les reliquaires. Ce deuxième livre représente un intérêt certain, dans le sens où Théofrid fait un parallèle entre l’Eucharistie et les reliquaires: les reliquaires sont comparés aux espèces du pain et du vin.[18]

 

L’auteur procède ensuite dans les livres III et IV à un classement des reliques en fonction de leurs caractéristiques ; outre les reliques corporelles, existent les "appendicia", des éléments que le saint a employés de son vivant, ce qui inclut non seulement les objets tels qu’une verge ou un vêtement, mais encore des liquides ; enfin les noms des saints, ou même leur ombre sont compris dans cette catégorie.[19]

 

Michele Camillo Ferrari fait une distinction entre les appendicia, les appendices, qu’elle nomme « positifs »[20] à savoir la catégorie d’objets cités ci-dessus, et qui sont traités dans le livre 3, et les appendices « négatifs »,[21]que sont les instruments qui ont servi au supplice des saints, et que Théofrid d’Echternach voit plus en détail dans le livre 4.

 

L’auteur passe en revue la Croix, les Clous et la Lance…

 

 

 

[1] Maraval P., Lieux saints, p. 253. 

 

[2] Idem, p. 220.

 

[3] Duchesne L., Origines du culte chrétien : étude sur la liturgie latine avant Charlemagne, p.261.

 

[4] Idem, p.291.

 

[5] Hermann-Mascard N., Reliques des saints, p. 316.

 

[6] Paulin de Nole, Epist. 3, 6 CSEL 29, p.274.  Fabre P., Saint Paulin de Nole et l’amitié chrétienne, Paris, 1949, p. 82, Bibl. des écoles, 167.

 

[7] Snoek G.J.C., Medieval Piety, p. 10.

 

[8] Frolow A, 17.

 

[9] Saint Maxime de Turin, Homélies, LXXXI, PL, t. LVII, col. 428,  p. 16.

 

[10] Saint Grégoire le Grand, Dialogues, L.II, c.38. PL t LXVI, col. 204.

 

[11] Saint Jérôme, Contra  Vigilantium, PL 23, 339-352.

 

[12] Platelle H., «Guibert de Nogent et le De pignus sanctorum», in Les reliques, pp. 109-121.

 

[13] Camillo Ferrari M., « Lemmata sanctorum»,  p. 224.

 

[14]  Saint Jean, 6, 56.

 

[15] Camillo Ferrari M., « Lemmata sanctorum », p. 224.

 

[16] Camillo Ferrari M., « Lemmata sanctorum », pp. 215-225.

 

[17] Idem, p. 218.

 

[18] Ibidem, p. 223.

 

[19] Ibidem, pp. 218-219.

 

[20] Ibidem, p. 218.

 

[21] Ibidem, p. 219.

 

 

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