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L'utilisation politique des reliques de la Passion

L’étude de l’utilisation des reliques de la Passion à des fins politiques nécessiterait à elle seule la rédaction d’un ou de plusieurs ouvrages, ce qui n’est bien évidemment pas possible ici. Pour une étude plus approfondie, on pourra consulter l'ouvrage d’Edina Bozoky sur le sujet.(1)

Toutefois, voici une synthèse qui permettra de se faire une idée de la question.
 

En temps de paix

Très tôt, les reliques de la Passion ont dépendu des grands de ce monde: les reliques de la Croix, de la Couronne, du Titulus, découvertes par Sainte Hélène, mère de l’empereur Constantin, au 4ème siècle; la thésaurisation de ces mêmes reliques depuis le 7ème siècle à la Cour de Constantinople…Cela conférait un prestige certain à l’empereur et à sa Cour.
 
En effet, les reliques de la Passion sont les plus précieuses puisqu’elles ont été en rapport avec le Christ, Fils de Dieu; elles bénéficient d’une importance infinie à ce titre, et couvrent leur possesseur de prestige. Or, le monarque est considéré comme le représentant de Dieu sur terre, il lui paraît donc naturel de conserver des reliques aussi sacrées dans sa capitale et plus précisément, dans sa chapelle impériale.
Notons que ce fait n’est pas anodin, le prestige accordé à l’empereur et à sa Cour en raison des reliques de la Passion conservées dans la chapelle impériale de Constantinople, ne laissera pas les monarques occidentaux indifférents. Dans une moindre mesure, Charlemagne aura sa Chapelle à Aix, mais c’est surtout Saint Louis qui reproduira le modèle constantinopolitain par l’édification de la Sainte Chapelle de Paris, véritable reliquaire de verre, pour abriter les plus insignes reliques de la Passion, cédées par l’empereur Baudouin. Celles-ci sont sa propriété, comme cela le fut pour les empereurs de Constantinople.

Toutefois, l’empereur (ou le roi) ne se contente pas de conserver les reliques de la Passion, il peut aussi être amené à les utiliser à des fins politiques, par exemple dans les relations diplomatiques, en tant que présents propres à favoriser les bonnes dispositions politiques d’un roi. C’est ainsi que Charlemagne aurait reçu la Tunique du Christ (Tunique d’Argenteuil) de l’impératrice Irène de Constantinople, parce que celle-ci espérait par ce moyen un rapprochement entre les deux empires.(2)Ou encore, en 1082, à Constantinople, suivant le récit de Benzo d’Alba, Alexis Ier Comnène offre à l’empereur Henri IV un fragment de la vraie Croix pour négocier une alliance.(3)

Montrer, en guise de privilège, la chapelle impériale et ses trésors, était un moyen de la part de l’empereur de Constantinople, d’éblouir et d’impressionner les ambassadeurs venus d’Europe notamment.

Les offres de reliques aux ambassadeurs étaient également pratiquées, et ce, aussi en Occident. En 1249, aux ambassadeurs tartares, Saint Louis offre un fragment de la vraie Croix.(4)

De tels objets pouvaient aussi servir de sauf-conduit, assurant la sûreté de la personne à qui on les envoyait, en échange de sa comparution devant tel ou tel grand de ce monde: en 1034, à Constantinople, Patrice Constantin Dalassenos reçoit d’un émissaire un sauf-conduit constitué d’un fragment de la vraie Croix notamment.(5)

Enfin, l’empereur de Constantinople, ne dédaignait pas non plus d’offrir des reliques de la Passion aux membres de sa Cour, ou encore à ses sujets en récompense de services rendus ou de hauts-faits. Il pouvait aussi utiliser les reliques de la Passion pour s’attacher la fidélité de nobles barons et s’assurer de leur loyauté en leur demandant de jurer sur celles-ci.

Au sujet du serment sur les reliques, c’est Saint Augustin qui le premier en fit allusion.(6)
Mais en quoi consiste-t-il exactement ? « Pour le serment », « un geste des mains se réalisant par le toucher d’une res sacra est l’élément indispensable en plus des formes verbales. La nature de ces res sacrae reste à déterminer. En Orient, depuis le concile de Chalcédoine de 451, les serments se prêtent sur les évangiles. Mais en Occident, au 6ème siècle, Boniface II et Vigile jurent indifféremment sur la confessio de Saint Pierre, le bois de la Croix, les quatre évangiles. »(7)

Et en ce qui concerne les serments des laïcs, on retrouve à la fois le serment sur les évangiles, et celui sur les reliques: Chilpéric prescrit en 534 un serment sur les évangiles et Dagobert, dans le Lex Alamannorum un serment sur les reliques.(8) Entre 757 et le début 9ème siècle, le serment est uniquement prêté sur les reliques. Entre le 9ème et le 12ème siècle, on peut constater une certaine concurrence entre les reliques et les évangiles. Après le 12ème siècle, l’évangile l’emporte (Midi Italie). (9)

De nombreux motifs justifiaient le serment dans le domaine politique au sens large: notamment l’allégeance du vassal à son suzerain, mais aussi la tenue de conseils administratifs ou gouvernementaux.
En 641, à Constantinople, serment est fait sur la relique de la vraie Croix de ne pas faire de mal aux enfants de Constantin III.(10)
En 912, à Constantinople, un serment politique est prêté sur la relique de la vraie Croix.(11)
En 917, à Constantinople, un serment militaire est prêté sur la relique de la vraie Croix.(12)
 
Le serment servait de garantie aux engagements oraux que prononçaient les hommes au Moyen Age. Cette garantie a toutefois des limites, car il est évident que certains d’entre eux manquaient à leur promesse: preuve en est que certains évitaient de jurer sur telle ou telle relique en particulier, réputée apporter une mort foudroyante au parjure…C’est ainsi par exemple, que le roi Louis XI (1423-1483) en personne, renonça à jurer sur la Croix de Saint-Lô qui était connue pour entraîner la mort des personnes qui avaient parjuré sur elle...(13)
 

 

 

En temps de guerre

En temps de guerre aussi, l’empereur pouvait se tourner vers les reliques de la Passion qu’il emmenait avec lui sur le champ de bataille, -le plus souvent une staurothèque renfermant une relique de la vraie Croix-, et qui devait lui accorder une protection toute particulière, ainsi que la victoire contre ses ennemis. Détenir un objet aussi précieux ne pouvait que conforter l’armée d’être dans le bon camp, de combattre avec l’aide de Dieu Lui-même.

C’est ainsi qu’en 593, au départ de Constantinople, une armée emporte un fragment de la vraie Croix en expédition en Thrace.(14)

Lors de sièges, la ville victime se servait aussi de reliques pour mettre en fuite les ennemis, en les brandissant sur le haut des remparts ou tout simplement en organisant une procession avec ces dernières, aux mêmes fins: par exemple, en 626 et en 717, à Constantinople, le peuple emporte en procession un fragment de la vraie Croix lors du siège de la ville respectivement par les Avars et les Arabes.(15)

Enfin, on peut ajouter que les reliques pouvaient servir de monnaie d’échange.
L’exemple le plus frappant est sans doute celui du Mandylion d’Édesse, lors de la prise d’Édesse par l’empereur de Constantinople: celui-ci avait eu vent de la relique et de sa renommée. Conservée dans la ville, malgré sa prise par les musulmans en 639, elle y était toujours vénérée grâce à la tolérance du calife. En 943, Édesse est assiégée par l’empereur byzantin Romain Lécapène, désireux de voir la relique à Constantinople. Il propose alors à l’émir d’épargner la ville, de libérer deux cents prisonniers arabes et de donner pas moins de douze mille pièces d’argent, en échange du seul Mandylion. Face à une telle proposition, l’émir d’Édesse ne se fait pas prier, et c’est ainsi que le 15 Août 944, le Suaire d’Édesse arrive à Sainte Sophie de Constantinople.(16)

 

 

 

 

 

(1) Bozoky E., La politique des reliques, de Constantin à Saint Louis.

(2) Marion A., Lucotte G., Le linceul, p. 160.
(3) Frolow A., 245.
(4) Fleury C., Mémoire, p. 114.
(5) Frolow A., 208.
(6) Saint Augustin, Epistola 78, PL. t. XXXIII, col. 269.
(7) Hermann-Mascard N., Reliques des saints, p. 236.
(8) Idem, p. 237.
(9) Ibidem, p. 252.
(10) Frolow A., 61.
(11)Idem, 132.
(12) Ibidem, 133.

(13) Collin de Plancy J.A.S., Dictionnaire, Tome I, p. XLVI.

(14)Frolow A., 38.
(15) Idem, 54.
(16)Marion A., Lucotte G., Le linceul, pp. 39-41.

 

 

 

 

 

 

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