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2. Justification religieuse de la vénération aux reliques de la Passion

 

2.1. Définition du terme « vénération »

 

Le terme « vénération » se dit en grec « προσκύνησις » et en latin "veneratio". 

 

La vénération peut passer par un contact physique: « Le toucher accompagne le voir et finit par devenir plus important que lui. »[1]

 

Dans le cas des reliques et de celles de la Passion en particulier, le culte porté n’est pas de l’adoration mais bien de la vénération.

Les termes de « vénération » et d’« adoration, » ont fait l’objet de débats. Il s’agissait d’expliciter et d’interpréter des termes qui pouvaient porter à l’incompréhension, à la confusion, et finalement à l’hérésie: si dans les faits, au Moyen Age, le commun des mortels employait couramment le terme « adorer » pour parler du culte porté aux reliques ou aux Lieux saints, le sens n’était pas aussi fort et significatif qu’aujourd’hui, il désignait simplement une très forte vénération et non pas de l’idolâtrie…

 

Les théologiens quant à eux, ont préféré le terme non ambigu de « vénération. »

 

Saint Jérôme précise bien dans ses Epistolae,[2] que les chrétiens doivent vénérer les reliques (honoramus)  mais pas les adorer (Non colimus et adoramus).

 

La crise iconoclaste, au 8ème siècle, obligera les théologiens à revenir sur le terme ambigu d’adoration, en en précisant les significations. C’est ce que fait par exemple Saint Jean Damascène (vers 676-749) dans un long passage de son traité Contre les calomniateurs des images.[3]

 

 

2.2. Motifs de vénération des reliques de la Passion

 

Saint Jean Damascène (vers 676-749) Père de l’Église et Docteur de l’Église, explique les motifs de vénération des reliques de la Passion dans Contre les calomniateurs des images :

« Ces choses-là, » …-le saint Golgotha, le Bois de la Croix, les Clous, l’Éponge, le Roseau, la Lance sacrée et salutaire, le Vêtement, la Tunique, le Linceul, les Bandelettes, la sainte Tombe, la source de notre résurrection, la pierre du monument, la montagne de Sion, la montagne des Oliviers, la probatique et le bienheureux enclos de Gethsémani. » -je les vénère (« σέβω ») et je m’incline devant (« προσκυνω »), ainsi que tout le temple de Dieu et ce sur quoi Dieu est nommé, non à cause de leur nature, mais parce qu’ils sont des réceptacles de l’énergie divine, et qu’à travers eux et en eux, Dieu a bien voulu faire notre salut. »[4]

 

Ce texte de Saint Jean Damascène est d’une extrême importance car il justifie clairement le culte de vénération des reliques de la Passion pour deux raisons: les reliques de la Passion sont des « réceptacles de l’énergie divine », c’est pour cette dimension sacrée qu’on les vénère. Ainsi ce n’est pas l’objet matériel en tant que tel qui est vénéré, mais l’objet sanctifié par le contact du Christ Lui-même. Donc par extension, c’est le Christ qu’on révère.

 

D’autre part les reliques de la Passion sont dignes de vénération parce qu’elles ont été les instruments du salut : c’est en souffrant sa Passion que le Christ a sauvé l’humanité déchue, condamnée à être privée de Dieu, en raison de la faute originelle commise par Adam et Ève, qui a entaché toute leur descendance. Toutes les reliques de la Passion sont le témoignage de la mission salvatrice du Christ, de sa souffrance qui a permis la rédemption de l’homme. C’est à ce titre que les reliques sont vénérées, non comme des souvenirs morbides d’un évènement douloureux, mais comme les instruments du salut grâce auxquels l’homme a pu trouver la réconciliation avec Dieu.

 

 

2.3. Deux concepts théologiques clés : la  "vis viva"  et la grâce

 

De ces réflexions religieuses, on peut retenir plusieurs notions importantes sur les reliques de la Passion:

 

  • La notion de "vis viva"

Le terme latin "vis" signifie « force », « vigueur », « puissance ».[5] Le terme latin féminin viva signifie « animée », « vive ».[6]

La notion de "vis viva" est introduite par Saint Paulin de Nole. (†431) Elle désigne l’énergie divine qui émane de la relique.

 

La res sacra n’est donc pas constituée des seules apparences de la matière, elle est animée de la force vive, de la sainteté du Christ, qu’elle a acquise à son contact. C’est ce qui lui confère son caractère éminemment sacré. Saint Jean Damascène, comme nous l’avons vu plus haut, dit bien que les reliques sont des « réceptacles de l’énergie divine. » Les miracles qui peuvent avoir lieu par l’intermédiaire de ces saints objets ne sont donc pas dus à la matière, mais bien à cette vis viva.

 

La res sacra représentait un véritable paradoxe du fait qu’elle était matière, mais qu’elle pouvait être la cause de miracles. Pour certains comme Saint Paulin de Nole ou Saint Jean Damascène, il était évident qu’elle était emplie de "vis viva" et irradiait la grâce. Pour d’autres comme Théofrid d’Echternach au 12ème siècle, cette faculté paradoxale de la relique à produire des miracles, si elle est reconnue comme véridique, n’en est pas moins curieuse. Il s’interroge, sans parvenir à trouver une réponse, sur les motifs qu’a eus Dieu de permettre une telle chose.

 

  • La notion de la grâce

Le terme grâce est issu du latin "gratia", mot signifiant « faveur, grâce ».[7] Saint Thomas d’Aquin, dans sa Somme théologique,[8]donne une définition de la grâce:

« La force motrice qui soulève et attire nos âmes à Dieu, le levier qui les transporte jusque dans le sein de la Divinité, c’est ce que nous appelons la grâce. » On doit bien faire la distinction entre la vis viva, l’énergie divine, qui est la force surnaturelle du Christ, et la grâce, don surnaturel de cette force à notre âme.

Cette grâce accordée par Dieu, produit des effets sur celui qui la reçoit. Saint Thomas d’Aquin ajoute en effet: « La grâce produit en nous cinq effets: elle guérit, donne la volonté du bien, la force de le faire, la persévérance, la gloire du Ciel… »[9]

Concrètement, les reliques de la Passion, peuvent donc apporter ces effets, parce qu’elles sont animées par l’énergie divine et sont des vecteurs de la grâce.

 

Il est important de souligner de telles notions.

En effet, ce caractère sacré des reliques de la Passion est méconnu par les Protestants par exemple, ce qui explique en partie que ces derniers ne comprennent pas pourquoi on voue un culte aux reliques car ils ne voient en elles que des objets matériels ou des éléments corporels. De plus, les Protestants ne souffrent pas d’intermédiaires entre leur prière personnelle et Dieu, c’est-à-dire qu’ils ne recourent pas à l’intercession de la Vierge ou des Saints comme peuvent le faire les catholiques, donc à plus forte raison ils n’acceptent pas la vénération des reliques, qu’elles soient de la Passion ou non.

 

 

 

 

[1] Maraval P., Lieux saints, p. 144.

 

[2] Saint Jérôme, Epistolae 109, 1 V, p.202.

 

[3] Jean Damascène, Contra imaginum calumniatores orat. III, 27-39.

 

[4] Idem.

 

[5] Dictionnaire Gaffiot, Latin-Français, article « vis ».

 

[6] Idem, article « vivus, a, um, ».

 

[7] Idem, article « gratia, ae ».

 

[8] Saint Thomas d’Aquin, Malé G., La théologie de saint Thomas ou Exposition de la "Somme théologique" en français, Tome I, p. 460. En ligne sur Gallica.

 

[9] Idem, p. 463.

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