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4. La manifestation du sacré : les miracles suscités par les reliques de la Passion

 

4.1. Définition

 

Le terme « miracle Â» vient du latin "mirari"  qui signifie « admirer Â», « s’étonner. »

 

« Un miracle est un évènement contraire aux lois de la nature, et qui ne peut être l’effet d’une cause naturelle. Â» [1] Saint Thomas d’Aquin[2] dit encore: « On appelle avec raison miracle ce que Dieu fait en dehors des lois naturelles. Â»

 

D’aucuns pensent que Dieu ne saurait faire des miracles, car cela reviendrait pour Lui, à aller à l’encontre des Lois qu’Il a Lui-même créées. Nicolas Bergier (1718-1790) répond à cette objection en disant qu’« il faut distinguer la volonté générale de Dieu d’avec une volonté particulière; la première peut être appelée loi de la nature et cours de la nature, puisqu’elle s’exécute ordinairement et constamment ; la seconde, qui est une exception, ne peut être nommée loi, que dans un sens très impropre et abusif…»

Ainsi Dieu, ne peut se contredire lorsqu’Il opère un miracle, car Il a décidé de toute éternité, librement de faire cette exception, et ce pour un motif propre à chaque situation.

 

 
4.2. Typologie religieuse des miracles ou faits miraculeux

 

En théologie, on distingue trois types de miracles décrits comme tels par Saint Thomas d’Aquin dans sa Somme Théologique:

 

  • Le miracle de premier ordre

« Un miracle est de premier ordre, quand la nature est absolument impuissante à produire la substance du fait, comme d’arrêter le soleil, de spiritualiser les corps humains. Â»[3]

 

  • Le miracle de second ordre

Un miracle de second ordre est celui par lequel « la nature peut produire des faits semblables au miracle, mais en opérant sur une matière différente…telle est la résurrection d’un mort. La nature peut donner la vie et la vue, mais ce n’est pas à une matière cadavéreuse et à un organe essentiellement défectueux. »[4]

 

  • Le miracle de troisième ordre

« Le fait en lui-même ne surpasse pas les forces de la nature: c’est seulement la manière dont il se produit qui est surnaturelle: ainsi la belle-mère de Saint Pierre fut subitement guérie de la fièvre; ainsi l’air se condensa tout à coup et la pluie tomba à la prière de Samuel et d’Elie. (I, Rois, XII, III, 18) Â»[5]

 

 

4.3. Différentes sortes de miracles

 

Les reliques de la Passion sont à l’origine de nombreux miracles au Moyen Age :

 

  • Les miracles spirituels

Ils concernent l’âme et consistent:

-en des conversions subites et inopinées.

-en la recouvrance instantanée d’une ou des vertus théologales. (Foi, Espérance, Charité)

-en la guérison de l’âme possédée par le démon.

Dans les faits, les récits de miracles de cette sorte qui nous sont parvenus sont les moins nombreux.

 

  • Les miracles temporels

Ils concernent:

 

α) La santé corporelle et psychique de  l’homme

-guérisons de toutes sortes de maladies, d’épidémies.

-dans certains cas même, résurrections.

-incorruptibilité des corps saints, ou de certaines reliques corporelles.

-dans cette catégorie on retrouve aussi les odeurs parfumées s’exhalant des res sacrae, constituant une preuve de sainteté, ou encore une huile, le « myron Â» en grec, dont exsudent de façon inexplicable les corps saints conservés ou certaines reliques, comme celle de la Croix par exemple. C’est ainsi que vers 670, à Sainte-Sophie de Constantinople, d’après le témoignage d’Arculfe, trois fragments de la vraie Croix distillant de l’huile sont exposés lors de la Semaine Sainte.[6]

 

β) Les objets

C’est par exemple le cas de certains reliquaires qui deviennent anormalement pesants ou légers lorsqu’on veut les déplacer: cela est interprété comme la volonté divine que la relique demeure ou change de lieu…ou encore les reliques-objets qui n’ont pas brûlé malgré leur exposition aux flammes lors d’incendies ou d’ordalies.

 

γ) Les éléments naturels

Par exemple, l’arrêt instantané de tempêtes en mer au contact des reliques jetées à l’eau, et d’autres calamités naturelles.

 

δ) Les évènements

Des évènements miraculeux peuvent advenir, par exemple, la victoire obtenue sur le champ de bataille grâce Ã  la présence de telle ou telle relique, en dépit des circonstances rendant la chose impossible (surnombre des ennemis, mauvaise situation des combattants…)

Dans cette catégorie, se trouvent aussi les apparitions de Dieu, de la Vierge ou des Saints. Cela sort du strict cadre des reliques, mais il était toutefois important de le mentionner.

 

  • Les miracles positifs ou négatifs

On peut encore faire une ultime distinction entre les miracles que l’on peut qualifier de « positifs Â» et ceux « négatifs. Â»

C’est une qualité du miracle, suivant qu’il apporte un bienfait envers la personne ou plutôt une sanction. Une guérison par exemple, est un évènement qui est heureux pour le malade, alors qu’une mort instantanée après avoir parjuré sur telle ou telle relique, est un châtiment sans appel pour le parjure. Il peut arriver aussi qu’un voleur se retrouve paralysé devant le reliquaire ou coincé, ou encore frappé de maladie foudroyante, le réduisant parfois aux dernières extrémités, et ne soit délivré ou guéri, qu’après l’aveu de sa faute et ou la reddition de la relique.

 

4.4. Les reliques de la Passion thaumaturgiques

 

Il serait trop long de consigner tous les miracles obtenus par les reliques de la Passion, et dont les témoignages écrits nous sont parvenus. Voici une sélection de quelques récits de miracles par ordre chronologique et des mentions de reliques de la Passion aux effets thaumaturgiques.

 

  • Guérison obtenue par la relique de la terre du saint Sépulcre

Saint Augustin (354-430) nous fait le récit d’un miracle dont il fut le témoin:

« Hespérius, d’une famille tribunitienne, possède dans notre voisinage un domaine sur les terres de Fussales 1, appelé Zubédi. Ayant reconnu que l’esprit malin tourmentait ses esclaves et son bétail, il pria nos prêtres, en mon absence, de vouloir bien venir chez lui afin d’en chasser les démons. L’un d’eux s’y rendit, et offrit le sacrifice du corps de Jésus-Christ, avec de ferventes prières, pour faire cesser cette possession. Aussitôt elle cessa par la miséricorde de Dieu. Or, Hespérius avait reçu d’un de ses amis un peu de la terre sainte de Jérusalem où Jésus-Christ fut enseveli et ressuscita le troisième jour. Il avait suspendu cette terre dans sa chambre à coucher, pour se mettre lui-même à l’abri des obsessions du démon. Lorsque sa maison en fut délivrée, il se demanda ce qu’il ferait de cette terre qu’il ne voulait plus, par respect, garder dans sa chambre. Il arriva par hasard que mon collègue Maximin, évêque de Sinite et moi nous étions alors dans les environs. Hespérius nous fit prier de l’aller voir, et nous y allâmes. Il nous raconta tout ce qui s’était passé, et nous pria d’enfouir cette terre en un lieu où les chrétiens pussent s’assembler pour faire le service de Dieu. Nous y consentîmes. Il y avait près de là un jeune paysan paralytique, qui, sur cette nouvelle, pria ses parents de le porter sans délai vers ce saint lieu ; et à peine y fut-il arrivé et eut-il prié, qu’il put s’en retourner sur ses pieds, parfaitement guéri. Â» [7]

 

  • Guérison obtenue par le sol à proximité immédiate du Sépulcre

D’après Grégoire de Tours, on prenait de la terre qui était à proximité du saint Sépulcre, on la mêlait à de l’eau, et on façonnait la mixture ainsi obtenue, qui souventes fois au contact des malades, provoquait des guérisons de leur maladie.[8]

 

  • Miracles obtenus par la relique de l’Éponge de Mantoue

En 804, à Mantoue, une relique de l'Éponge Ã©tait conservée, d’après Collin de Plancy. Il ajoute qu'elle opérait des miracles.[9]

 

  • Le Roseau de Constantinople, relique thaumaturgique

Dans une lettre à ses armées, datée de 958, l’empereur Constantin VII Porphyrogénète parle de l’arrivée d’une eau sanctifiée au contact des reliques de la Passion, dont  Â« le roseau qui fait des miracles…»[10]

 

  • Réparation miraculeuse obtenue par l’intermédiaire d’une relique de la vraie Croix en Allemagne

Vers 969-975, en l’église Saint-Pierre de Cologne, Gero, archevêque de Cologne, répare miraculeusement un crucifix avec un fragment de la vraie Croix et une hostie.[11]

 

  • Guérisons obtenues par la Coiffe de Cahors

La relique opérait des guérisons miraculeuses des maladies de la vue, et était connue pour son efficace protection contre la peste notamment.[12]

 

  • Clou thaumaturgique

En 1106, à Jérusalem, l’hégoumène Daniel se prosterne devant le Clou « enfermé dans la grande Croix en bois de cyprès qu’érigea Sainte Hélène pour chasser les démons et guérir toutes sortes de maladies. Â»[13]

 

  • Miracle de la relique du Sang du Christ

Le 7 Janvier 1231, à Saint-Marc de Venise, une ampoule contenant une relique du Sang du Christ est trouvée intacte après l’incendie.[14]

 

  • Miracle dont l’objet est la relique de la vraie Croix elle-même

En 1244, l’église de l’abbaye de Hoogdorch, dans les Pays-bas, est consacrée sur un fragment de la vraie Croix. Pendant la cérémonie, des gouttes de sang ont coulé de la relique. Celle-ci est actuellement conservée à Wambach, en Hollande.[15]

 

 

 

 

[1] Bergier Nicolas, (1718-1790), Dictionnaire de théologie  dogmatique, liturgique, canonique et disciplinaire, Tome III,  col.771.

 

[2] Saint Thomas d’Aquin, Malé G., La théologie de saint Thomas ou Exposition de la "Somme théologique" en français, Tome I, chapitre X, La Providence, p.235.

 

[3] Saint Thomas d’Aquin, Malé G., La théologie de saint Thomas ou Exposition de la "Somme théologique" en français, Tome I, chapitre X, La Providence, p.235.

 

[4] Idem, pp.235-236.

 

[5] Ibidem, p.236.

 

[6] Frolow A., 66.

 

[7] Saint Augustin, (354-430), La Cité de Dieu, livre 22, chapitre 8.

 

[8] Frank G., article « Loca sancta, souvenirs and the art of memory Â» in Pèlerinages et lieux saints, p. 194.

 

[9] Collin de Plancy J.A.S., Dictionnaire, Tome II, p. 75.

 

[10] Marion A., Lucotte G., Le linceul, pp. 40-41.

 

[11] Frolow A., 148.

 

[12] http://www.quercy.net/patrimoine/saints/  Lien valide le 29 Avril 2010.

 

[13] Mély F., Exuviae, p. 183.Voir Itinéraires russes en Orient, t. I, p. 9.

 

[14] Frolow A., 523.

 

[15] Idem, 536.

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