LES RELIQUES
DE
LA PASSION DU CHRIST
Hiérarchie et authentification des reliques (2)
3.3. Authenticité et authentification religieuse
3.3.1. Le concept religieux de l'authenticité
En soi, lors de nos investigations, nous pouvons trouver plusieurs cas de figure possibles pour les reliques de la Passion:
la relique originale, la relique de contact, la copie, et la fausse relique.
La relique originale
Elle correspond aux reliques réelles et historiques qui ont été authentifiées par des analyses et des études archéologiques et historiques selon des procédés adaptés (datation au C14, analyse sanguine, palynologie, etc…). Le processus tendant à authentifier une relique est complexe, étant donné que certaines reliques de la Passion sont extrêmement morcelées comme la relique de la Croix, ou ont été réparées au cours du Moyen Age comme le Suaire de Turin dont on a prélevé des échantillons pour la datation au C14, sur une zone rapiécée au Moyen Age.
La relique de contact
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C’est le cas d’une copie de relique, que l’on a fait toucher à l'originale.
Par exemple l’archéologue détermine qu’un suaire de tel endroit est une copie d’époque médiévale: pour lui, ce n’est pas la relique authentique du suaire du Christ; mais pour le religieux, si et seulement si, la copie de relique a été touchée à l’originale, c’est une authentique relique, en tant que relique de contact. Par exemple on a mis en contact avec le saint Suaire, les copies de Guadalupe et de Navarrete, « étendues au cours de juin 1568 » ou encore la copie de Naples en 1652, dont une inscription précise contactu Prototypi.[1]
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C’est le cas d’une copie de relique avec inclusion d’un fragment de relique originale.
On peut retrouver dans cette catégorie par exemple, douze Clous de la Passion, créés au Moyen Age sur le modèle original auxquels on a ajouté de la limaille de fer d’un Clou de la Passion.
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On peut trouver aussi des reliques de contact de la relique originale, qui ne sont pas des copies de cette dernière, mais de simples objets, par exemple un bout de tissu, qui ont touché à la Colonne de la Flagellation, à une Tunique du Christ.
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La relique représentative est considérée comme une relique authentique en tant que relique de contact, du point de vue religieux. Pour l’archéologue en revanche, la relique est fausse, ce n’est pas la relique originelle du Christ.
Voici une synthèse, classant les reliques selon qu’elles aient fait l’objet de réalisation de reliques représentatives et ce, d’après les sources écrites que l’on peut retrouver dans les annexes de ce mémoire.
Reliques représentatives
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Les pèlerins se constituaient eux-mêmes des reliques secondaires « tels ceux qui entourent de bandes de tissu la colonne de la flagellation. » |
L’obit de Pierre d’Avoir au 14ème siècle que cite Fernand de Mély dans Exuviae sacrae Constantinopolitanae, montre qu’une épine qui a été touchée à une Épine de la Couronne d’épines a par la suite été considérée comme une originale... Unam de spinis quae fuit apposita coronae spinae nostri Redemptoris. |
Après 565, à Tours, on conservait une pièce de soie qui avait enveloppé un fragment de la vraie Croix. |
Au 9ème siècle, l’abbaye Saint-Riquier reçoit de Charlemagne une pierre ayant été en contact avec les aromates. |
D’après le témoignage de Grégoire de Tours, on diffusait des reliques représentatives dans le monde entier, constituées à partir du prélèvement d’un peu de matière du sol situé à proximité du Tombeau. Pierre Maraval nous apprend que l’huile des lampes ou « la cire des cierges sont en effet créditées de vertus particulières, qu’elles tiennent de leur proximité avec la relique et de leur fonction auprès d’elle, laquelle est moins d’éclairage que de signalisation du lieu saint. Au 9ème siècle, à Rome, au Sancta Sanctorum, est conservée une relique de l’huile du Sépulcre, "oleo de sepulchro Domini". L’authentique pourrait être aussi la relique car il s’agit d’un parchemin « gras et translucide. » Au 9ème siècle, à Rome, au Sancta Sanctorum, est conservée une relique de la Terre du Sépulcre, "terra d(e) sepulchrum D(omi)ni". En 1069, l’église Saint-Géréon de Cologne est consacrée sur une relique du Tombeau notamment, ainsi que sur des grains d’encens sanctifiés sur le Tombeau. Au Moyen Age, les pèlerins emportent de la poussière du Tombeau. Il y a tous les objets, bouts de tissu ou autre, qu’ont et que font toucher encore aujourd’hui les pèlerins au Tombeau du Christ. |
Pour les reliques représentatives, c’est le Saint Sépulcre qui arrive largement en tête. Vient ensuite la Colonne de la Flagellation.
Dans une moindre mesure on peut constater l’existence de reliques représentatives pour la Couronne d’épines, la Croix et
les Aromates d’embaumement.
La copie
Les analyses de l’archéologue concluent que la relique est d’époque médiévale et donc non authentique. Cela peut être une copie. Cette dernière n’est pas forcément une relique de contact: en effet, pour qu’une copie de relique soit considérée comme une relique, il faut qu’elle ait été mise en contact avec la relique originale. Or, certaines fois, il n’est pas précisé que telle ou telle copie ait été touchée à l’originale, donc il n’est pas impossible de penser que certaines copies ont été exécutées sans être touchées à l’original...Si c’est le cas, ces copies n’auront pas le statut de relique auprès du religieux, mais de représentation religieuse ou iconographique, au même titre qu’une icône ou une image pieuse.
La fausse relique
La relique est fausse, due à une erreur d’attribution au Moyen Age, intentionnelle ou non, ou vraiment un faux fabriqué de toutes pièces: elle est fausse pour l’archéologue comme pour le religieux qui n’y verra pas non plus une authentique relique.
En résumé, le Magistère de l’Église a une conception plus large de l’authenticité de la relique que l’archéologue. Chacun a ses propres critères pour juger de l’authenticité de celle-ci. Il est nécessaire de prendre en compte cette différence de conception.
3.3.2. L’authentification religieuse des reliques au Moyen Age
Au Moyen Age, l’authentification de reliques était une tâche qui incombait uniquement à l’évêque: « Jusqu’au IVème concile de Latran, (1215) seul l’évêque était compétent pour identifier et authentifier les reliques. Les procédés d’authentification, nombreux, s’appuyaient surtout sur la coutume et la tradition. »
En 1215, un droit de regard sur le Saint-Siège fut instauré.
Les méthodes d’authentification étaient invariables:
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Authentification directe
Elle constituait en l’étude essentiellement des inscriptions épigraphiques lisibles sur les reliquaires, sépultures, autels, châsses…[2] Toutefois cela n’est pas suffisant : en effet, les reliques ont pu être changées par d’autres, le reliquaire réemployé pour d’autres reliques que celles nommées.
C’est pourquoi, en sus des inscriptions, il convient de tenir compte des sceaux apposés sur la relique et gages de son authenticité. Sans les sceaux, pas de certitude sur l’identité de la relique. Par ailleurs le culte des reliques n’est possible que si ces dernières sont reconnues comme authentiques : « On ne peut proposer au culte public des fidèles que les reliques dont l’attribution authentique est reconnue par un document écrit, officiel, d’un cardinal, ou bien de l’Ordinaire du lieu. Canon 1283. Le pouvoir de délivrer des authentiques appartient à l’Ordinaire du lieu, revêtu ou non du caractère épiscopal, Canon 198, §1 et 2 ; les vicaires généraux ne peuvent sans délégation spéciale certifier l’authenticité des reliques, Canon 1283§ 2, ni non plus un évêque qui ne serait pas « Ordinaire » car le terme « Ordinaire du lieu » est strict. »[3]
Enfin, « si le certificat d’authenticité d’une relique a disparu, dans des troubles civils ou pour toute autre cause, il faut avant d’honorer cette relique d’un culte public une permission de l’Ordinaire du lieu (et pas seulement du vicaire général) Canon 1285, §1, qui délivre un nouveau certificat après une enquête sérieuse sur les vicissitudes subies. »[4]
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Authentification indirecte
Quand une authentification directe était impossible ou non déterminante, on s’appuyait sur les témoignages, la tradition, les archives, les miracles et l’ordalie.[5]
Une remarque: les membres du clergé faisaient preuve d’un certain recul que l’on peut constater parfois dans les inventaires. Il peut en effet arriver d’y trouver l’expression médiévale « si que on dist, » qui signifie « dit-on » ou « d’après ce que l’on dit », employée devant le nom de la relique: dans tel reliquaire, se trouve la relique qui, dit-on, d’après ce que l’on dit, est celle de la couronne d’épines.
L’ordalie
C’était une épreuve d’authentification que l’on faisait passer aux reliques. En général, c’était une tâche qui incombait à l’évêque. L’ordalie est attestée entre autres pour la relique de la Croix. Celle-ci devait « demeurer intacte dans les flammes, ne pas flotter sur le liquide, et posséder en outre le pouvoir d’arrêter l’hémorragie, » nous dit Frolow.[6]
Mais on ne procédait pas forcément aux trois épreuves du feu, de l’eau et du sang pour une même relique.
L’ordalie fut employée entre le 6ème et le 12ème siècle.[7]
C'est en 592 que le concile de Saragosse déclara que l'on ne devait révérer que les reliques qui auront passé avec succès l'épreuve du feu.[8]
Plusieurs exemples sont attestés au cours des siècles, d’après l’inventaire de Frolow:
Le 28 Décembre 1125, un fragment de la vraie Croix est soumis à l’épreuve de l’eau.[9]
Le 26 Juillet 1126 a lieu une translation de staurothèque à Cluny et à cette occasion on la soumet à l’épreuve de l’eau.[10]
Au 13ème siècle environ, à Paris, une croix qui a contenu un fragment de la vraie Croix, a subi l’épreuve du feu.[11]
En 1318, à Chypre, environ la relique du Suppedaneum qui avait été volée puis retrouvée dans des circonstances douteuses fut soumise à l’épreuve du feu et du sang avec succès.[12]
Outre l’existence d’une réflexion et d’un classement proprement religieux, les reliques de la Passion ont suscité des miracles.
[1] R. de Brienne D., Dictionnaire, p.136.
[2] Marion A., Jésus, p. 24.
[3] Vacant A., Mangenot E., Amann E., Dictionnaire de théologie catholique, Tome 13, 2374.
[4] Idem, 2375.
[5] Marion A., Jésus, pp. 24-25.
[6] Frolow A., 25.
[7] Marion A., Jésus, p. 25.
[8] Collin de Plancy, J.A.S., Dictionnaire, Tome I, p. XXVIII.
[9] Frolow A., 314.
[10] Idem, 316.
[11] Ibidem, 661.
[12] Ibidem, 690.