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Historique

 

Des premiers siècles à 944

 

Retracer l’histoire du saint Suaire aux premiers siècles est très délicat. On dispose de témoignages qui se rapportent notamment à un Suaire à Édesse, le fameux mandylion, que beaucoup considèrent comme correspondant à la relique de Turin: un certain nombre d’auteurs retracent donc un historique de la relique de Turin à partir de celui du Mandylion d’Édesse depuis les premiers siècles à 944, puisqu’ils considèrent que ces deux objets distincts ne font qu’un en réalité. C’est en tout cas l’hypothèse émise par Ian Wilson en 1978, dans son ouvrage Le Suaire de Turin, linceul du Christ ?, qui sera reprise plus récemment par le Père Dubarle et Hilda Leynen.[1]

 

Les arguments de ces auteurs sont que le linceul était exposé dans un cadre et plié de telle sorte qu’on ne voyait que le visage. Ils se basent sur une source datant du 6ème siècle, les Actes de Thaddée, qualifiant le mandylion de tetradyplon, c’est-à-dire, « plié quatre fois en deux ».

Or des traces de pliage ont été mises en évidence sur le Linceul de Turin par John P. Jackson et Vernon Miller ainsi que lors de sa restauration en 2002.[2]

 

 

a) Le devenir du Linceul du Christ après la Passion et la Résurrection.

 

Ce n’est qu’à partir du 4ème siècle que les sources font allusion à l’existence du Linceul et à ce qu’il en est advenu après la mort et la résurrection du Christ.

Vers 325, sous le roi Mirian (284-361) de Géorgie, un moine historien, Niaforis, écrit que le Suaire, d’après une tradition des premiers chrétiens, avait été gardé par Saint Pierre; plus tard on le cacha dans un endroit inconnu.[3]

 

Vers 340, Saint Cyrille de Jérusalem fait mention du Linceul du Christ dans sa deuxième catéchèse mystagogique.[4]

 

Saint Jérôme (vers 340-420), rencontre à Alep, ancienne Beroia, une communauté de chrétiens nazaréens qui lui montrent un codex en araméen qu’ils conservaient et appelaient l’évangile des Hébreux: d’après ce texte, le Suaire trouvé au Saint-Sépulcre est alors confié à Saint Pierre et gardé avec soin, malgré le fait qu’il était considéré comme "shatnez", impur, en raison de son contact avec un cadavre et du sang, selon les préceptes juifs. [5]

 

b) Les mentions historiques du Mandylion d’Édesse identifié au saint Suaire par de nombreux historiens des premiers siècles à 944[6]

 

A l’époque de la répression d’Hadrien (76-138) à Jérusalem, les chrétiens partent dans le royaume d’Osroène, région du Nord-Ouest de la Mésopotamie, et le Suaire arrive alors à Édesse, la capitale. Abgar, souverain d’Osroène, se déclare officiellement chrétien en l’an 170. Une icône du 5ème siècle le représente avec le Suaire: « Abgar Manu déploie sur ses genoux le fameux linceul, lequel est extrêmement long, et on distingue au centre, comme sur le Suaire de Turin, l’empreinte d’un visage.»[7]

 

En 212, Caracalla, empereur romain de 211 à 217, occupe Édesse et y installe une base militaire romaine. A cette époque, l’évêque d’Édesse cache la relique dans une niche en haut des murailles.

 

A l’époque de Constantin, au 4ème siècle, les chrétiens construisent sous l’évêque Qona, une église près de la source de Kallirrhoè mais ne trouvent pas de trace du Mandylion: personne ne savait où il avait été caché.

 

Le Mandylion d’Édesse est redécouvert soit en 544, selon le récit d’Evagre le Scholastique, soit en 525 à l’occasion de la restauration de la cathédrale et est alors conservé dans l’église Hagia-Sophia.[8]

 

En 639, le Mandylion quitte Édesse pour Constantinople lors de la prise de la ville par les musulmans.

Mais la tolérance du calife d’Édesse permet le retour de la relique à Édesse malgré l’occupation.[9]

 

Saint Jean Damascène (vers 676-749), dans son traité Contre les calomniateurs d’images, mentionne la relique du linceul.[10]

 

Dans le Codex Vossianus (Lat Q69), datant du 10ème siècle, on peut trouver un récit traduit du syriaque, probablement du 9ème siècle, écrit par un médecin du nom de Sméra ou Smira: il rapporte qu’à l’époque où le Suaire se trouvait à Édesse, on savait qu’il représentait le corps entier du Christ, taché de sang et d’eau.[11]

 

En 943, Édesse est assiégée par l’empereur byzantin Romain Lécapène, désireux de voir la relique à Constantinople. Il propose à l’émir d’épargner la ville, de libérer deux-cents prisonniers arabes et de donner la coquette somme de douze mille pièces d’argent en échange du seul Mandylion. Face à une telle proposition, l’émir d’Édesse accepte, et le 15 Août 944, le Suaire d’Édesse arrive à Sainte Sophie de Constantinople.[12]

Une miniature réalisée par Jean Skylitzès, historien, dans un codex, représente l’empereur Lécapène recueillant le Suaire. Elle est conservée à la Bibliothèque nationale de Madrid.

 

 

De 944 à la prise de Constantinople en 1204

 

Le 15 Août 944, au soir, la relique est transférée de Sainte-Sophie à la Nea Ekklesia, édifiée entre 876 et 880 par l’empereur byzantin Basile Ier (de 867 à 886). L’édifice religieux reçoit un nouveau nom ce jour-là, celui de Sainte-Marie du Phare, le terme pharos signifiant « phare » ou « toile, drap. »

Les actes de Thaddée rapportant des récits sur le Suaire sont traduits en latin et la Chronique des Edessiens est écrite à cette époque.

 

Dans une lettre, datée de 958, l’empereur Constantin VII Porphyrogénète s’adressant à ses armées, parle de l’arrivée d’une eau sanctifiée au contact des reliques de la Passion, et notamment du « Linceul qui a porté Dieu. »[13]

 

Vers 1090, Alexis Ier Comnène demande à l’empereur germanique Henri IV et Robert de Flandre, de l’aider à protéger les linges mortuaires du Christ.[14]

 

En 1147, le roi de France Louis VII, vénère le linceul alors exposé en l’église Sainte Marie des Blachernes à Constantinople d’après le témoignage de l’historien Jean Cinnamos.[15]

 

En 1150, sous l’empereur Manuel Ier Comnène, le saint Suaire est transféré aux Blachernes (Tekfur Sarayi). La même année, l’empereur Manuel Ier Comnène reçoit l’ambassade hongroise en raison du projet de mariage de sa fille avec le prince héréditaire Bela de Hongrie. Il montre alors le saint Suaire à la délégation, pour la mettre en confiance. Le Codex Pray, daté entre 1192 et 1195 et conservé à la Bibliothèque nationale de Budapest, immortalise la scène.[16]

 

En 1151, Nicola Soemundarson, un bénédictin et abbé islandais, a l’honneur de se faire montrer le saint Suaire par l’empereur, et cite « les bandeaux de lin avec le Soudarion et le sang du Christ. »[17]

 

En 1171, Guillaume de Tyr, chancelier d’Amaury de Lusignan, roi de Jérusalem, reçu par l’empereur Manuel Ier, rapporte qu’Amaury vit à Constantinople « le drap que l’on appelle synne où il (le Christ) fut enveloppé. »[18]

 

En 1201, Nicolas Mésaritès, gardien des reliques de la chapelle Sainte Marie du Phare parle des « linges sépulcraux du Christ ; ils bravent la corruption parce qu’ils ont enveloppé l’ineffable mort, nu et embaumé après la Passion. »[19]

 

En 1204, Robert de Clari ou Cléry voit le Suaire à Constantinople; c’est le dernier témoin à l’avoir vu à Constantinople avant sa disparition, il en témoigne lui-même dans son écrit, La conquête de Constantinople. « En un autre des moustiers qu’on appelait Madame Sainte Marie des Blachernes…le sydoine où notre sire fut enveloppé…chaque vendredi se dressait tout droit si bien que l’on y pouvait voir la figure de Notre Seigneur. »[20]

 

 

De 1204 à nos jours

 

Un Codex, conservé à la bibliothèque nationale de Palerme comportait une copie de la lettre qu’adressa Théodore Ange Comnène, un parent de l’empereur Isaac II Ange, au Pape Innocent III.

 

La lettre est datée du 1er Août 1205: « L’an dernier, au mois d’avril, détournée d’une prétendue libération de la Terre Sainte, l’armée croisée est venue dévaster la ville de Constantin…Au cours de cette dévastation, les soldats de Venise et de France se sont livrés au pillage des édifices sacrés. Ils ont pris des trésors d’or, d’argent et d’ivoire, et se les sont partagés: aux Vénitiens les reliques des Saints ; aux Français, ce qu’il y avait de plus sacré parmi ces dernières: le linceul où fut enveloppé après sa mort et avant sa résurrection, Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous savons que ces choses sacrées sont conservées à Venise, en France et autres pays des pillards, le Sacré Linceul étant à Athènes.»

 

Il ne reste aujourd’hui qu’une copie de ce Codex détruit à Palerme dans un bombardement en 1943.

 

En 1207, Nicolas d’Otrante, abbé de Casole, fait mention aussi du Suaire à Athènes.[21]

 

Il est difficile ensuite de dire quand exactement le Linceul est arrivé en France.

 

Selon certains historiens, Othon de la Roche envoya le saint Suaire à son père Ponce II, à la Roche-sur-Oignon, près de Besançon, vers 1208, ce qui expliquerait l’existence du Suaire de Besançon, considéré comme une copie pour les uns, pour un faux pour les autres, qui fut détruit en 1794. Mais Jean Girard a pu prouver par ses recherches que cette hypothèse est impossible du fait de la mort de Ponce en 1203…[22]

 

 

 

 

[1] R.P. Dubarle et Leynen H., Histoire ancienne du Linceul de Turin.

[2] Marion A., Lucotte G., Le linceul, pp. 37-39.

[3] Siliato M.G., Contre-enquête, p. 134-135.

[4] Marion A., Lucotte G., Le linceul, p. 32.

[5] Idem, p. 32.

[6] Marion A., Jésus, p. 54. (C’est l’hypothèse notamment de Ian Wilson et du R.P. Dubarle.)

[7] Siliato M.G., Contre-enquête, p. 133.

[8] Marion A., Lucotte G., Le linceul, pp. 34-35.

[9] Idem, p. 35.

[10] Saint Jean Damascène, Contre les calomniateurs d’images, Orat., III, 34.

[11] Marion A., Lucotte G., Le linceul, p. 39.

[12] Idem, pp. 39-41.

[13] Ibidem, pp. 40-41.

[14] Ibidem, p. 43.

[15] Ibidem, p. 43.

[16] Siliato M.G., Contre-enquête, p. 30.Pour plus de renseignements sur le Codex Pray, on peut consulter aussi Marion A., Lucotte G., Le linceul, pp. 45-47.

[17] Marion A., Lucotte G., Le linceul, p. 44.

[18] Idem, p. 44.

[19] Ibidem, p. 44.

[20] Siliato M.G., Contre-enquête, p. 183.

[21] Marion A., Lucotte G., Le linceul, p. 53, et R. de Brienne D., Dictionnaire, p. 20.

[22] R. de Brienne D., Dictionnaire, p. 24.On peut consulter l’ouvrage de Jean Girard: La roche ou l’épée comtoise en Grèce, 1998.

Le Linceul de Turin (11)

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